Le jour où j’ai refusé d’obéir à une interne
Il arrive qu’un(e) infirmier(e) doive s’opposer à un médecin ou un(e) interne en cas de désaccord.
Bien sûr, il faut argumenter, faire preuve de tact voire même d’humour parfois pour ne pas passer pour une emmerdeuse voire pire, une incompétente!
De plus les médecins détestent qu’on leur dise qu’ils ont tort, ça blesse leur ego… Malheureusement ils sont moins présents au chevet des patients et certaines choses leur échappent. De même, ils perdent l’habitude de certains soins techniques, une fois en exercice et oublient certains détails sur les traitements .
Ou tout simplement nous devons nous protéger en cas de problème à venir (plainte de la famille ou du patient, décès du patient, enquête etc…) car souvent vous serez seul à devoir expliquer et justifier ce que vous avez fait.😔
Il n’empêche que sans nos chers docteurs👨🏽⚕️, nous serions tous mal barrés, soignants et patients confondus!😊
Drôle d’histoire
Ce jour là, je travaillais encore de nuit, en interim en métropole. C’était deux ans après mon premier décès . Pourtant je connaissais l’hôpital car j’y travaillais régulièrement pour des missions de courtes durées.
Dans ce service de médecine, j’étais la seule infirmière pour 30 patients de nuit (1 pour 15 la journée). Autant vous dire que les tours de distribution des traitements et de constantes semblaient interminables!
Il y avait cette patiente insuffisante rénale modérée à qui je devais donner un somnifère. À cause de ce diagnostic d’insuffisance rénale, j’hésitais à lui donner son traitement. Je regardais dans dossier: elle avait eu son traitement tous les soirs depuis son arrivée. Je demandais à la patiente: elle était habituée à le prendre chaque soir et le voulait absolument. Je vérifiais auprès du collègue infirmier du service d’à côté qui pouvait connaître la patiente: il ne la connaissait pas et me conseilla de lui donner son cachet si elle insistait. D’autant plus qu’il s’agissait d’une demi-dose par rapport à ce qu’on donne habituellement.
Aprés toutes ces vérifications je décidais de lui donner son demi-cachet de somnifère. Surtout que les 29 autres patients m’attendaient et qu’elle allait plutôt bien.
Au deuxième tour, presque tous les patients dormaient paisiblement, elle y compris. Je lui posais donc son antibiotique en intra-veineux. Lorsqu’il fut fini, 30 minutes après, je le rinçais et le clampais sans l’enlever pour éviter de la réveiller.
Mais au dernier tour, vers 4h30, je la retrouvais dans un état inquiétant, semi-consciente, répondant difficilement à mes sollicitations (elle n’ouvrait pas les yeux mais gémissait pour signifier qu’elle m’entendait).
Ni une ni deux, je commençai la prise de constante, l’appel de l’interne de garde (selon le protocole de ce service, pas d’anesthésiste à appeler car c’était un service de médecine). Dans la foulée je lui mis le masque à oxygène à 15L/minutes car elle desaturait (oxygénation inférieure à 95%). Je commençais également les hemocultures car elle était en hypothermie (qui peut être le signe d’un choc septique autant qu’une hyperthermie).
Lorsque l’interne arriva, elle me dit rapidement que cette patiente ne pouvait etre réanimée car les médecins en avaient décidé ainsi en accord avec la famille… Ce que je trouvais bizarre puisque mon collègue de jour ne me l’avait pas expliqué à la relève et ce n’était pas écrit dans son dossier…Ce qui est obligatoire pour ce genre de décison, qu’on ne prend pas à la légère!
Elle insistait pour que j’arrête de réaliser tout soin dans le but de la réveiller ou de diagnostiquer son problème mais je terminai mes hémocultures et lui expliquai que je ne pouvais pas arrêter sans preuve écrite de cette mesure car personne ne m’en avait parlé. Plus qu’agacée, elle persevera, me disant qu’elle était sure d’elle, cherchant une preuve dans le dossier qu’elle ne trouvait pas… Elle appela un médecin réanimateur à ma demande afin de clarifier les choses car lui seul peut donner son accord d’arrêt de soins en l’absence de mesures de réanimation écrites (et si le médecin de la patiente n’est pas présent donc surtout la nuit).
Retournant examiner la patiente, elle vit l’antibiotique accroché et s’exclama que l’antibiotique que j’avais posé n’était pas le bon! Le coeur battant à 100 bpm, je vérifiais dans le dossier pour me rendre compte que c’était bien l’antibiotique prescrit, au bon dosage, à la bonne patiente, au bon moment, et bien en intra-veineux selon la règle des 5B ci-dessous.
Et lorsque je le dit à l’interne, elle fut très génée car elle finit par se rendre compte au même moment qu’elle s’était trompée de patiente depuis le début et regardait le dossier de sa voisine de chambre…
Je fis envoyer les hémocultures au laboratoire sans tarder et continuais de surveiller ma patiente, ce que j’avais fait sans arrêt depuis le début malgré les protestations de l’interne et la stupéfaction de mes collègues qui ne savaient plus où se mettre (mais qui m’ont beaucoup aidé).
Souvent quand j’y repense je me dis “heureusement que je n’était pas jeune diplômée” car j’avais tendance a croire les médecins coûte que coûte à l’époque, évitant de remettre en question leurs diagnostics et autres connaissances que je croyais infinies.
C’est d’ailleurs pour ca que je conseille aux étudiants d’attendre d’avoir au moins un an d’experience avant de tenter l’interim car c’est trés compliqué de faire la part des choses quand on ne connait ni les médecins, ni les procédures, ni les habitudes du service et des collègues.
Pour aller plus loin: ce qui s’est réellement passé
Au moment de la relève, bien sûr j’ai tout raconté à mon collègue de jour qui m’expliqua que cette patiente n’avait pas eu de quantification de sa diurèse depuis son arrivée ce qui a été une grosse erreur puisque si j’avais su qu’elle n’urinait pas je ne lui aurait pas administré de somnifère. J’aurais du poser la question à mon collègue au moment de la relève d’ailleurs, je le reconnais…En effet, certains insuffisants rénaux continuent à uriner, mais d’autres pas, selon le stade d’évolution de leur maladie, ce qui est décisif dans l’administration des traitements. Lorsqu’ils n’ont plus de diurèse, seuls les traitements obligatoires sont administrés en cas de besoin, sans parler de la dialyse qui est vitale.
Il s’agissait juste d’un oubli qui malheureusement arrive bien trop souvent a cause de la pénurie de personnel hospitalier…
Comment éviter que ça vous arrive?
- Préparez-vous une liste de questions à poser à la relève pour être sûr de connaitre le patient dans son intégralité sans que cela dure une éternité. Apprenez cette liste par cœur. Malheureusement elle change selon les pathologies et antécédents des patients. Exemple: pour un insuffisant rénal = quelle a été sa diurèse les dernières 24 heures, quand a été sa dernière dialyse et quelles sont ses dernières constantes (ils peuvent faire de l’hypotension à la sortie de dialyse)? C’est quelque chose que les infirmiers expérimentés font sans y penser, cela deviendra automatique, vous verrez!
- Posez toutes les questions qui vous permettent de prendre en charge le patient de façon globale. Ce n’est pas la même chose que le premier point ci-dessus car ces questions peuvent être liées uniquement à un patient précis à un moment donné. Exemple: a quelle heure a-t-il eu son dernier traitement antalgique? Pourquoi son traitement a changé par rapport à hier etc…
- Arrivez en avance pour pouvoir consulter les dossiers des patients, bien commencer à noter votre relève (la forme de tableau est pas mal) et vous mettre dans le bain, surtout quand vous êtes nouveau!
- N’hésitez pas à demander à des infirmiers d’autres services (vous pouvez les appeler par téléphone) comment ils font certains soins ou qui contacter habituellement en cas de soucis spécifique si vous ne l’avez pas fait au moment de la relève. Il vaut mieux passer pour un con quelques minutes plutôt que de risquer la vie d’un patient!!
- Cherchez/demandez et notez le numéro du médecin de garde (anesthésiste, chirurgien de garde ou autre médecin) à joindre en cas d’urgence, surtout la nuit. Vous gagnerez beaucoup de temps, vous serez plus professionnel et serein si une situation d’urgence arrive.
Etre infirmier est loin d’être aisé mais avec de la préparation et l’acquisition d’expérience, beaucoup de problèmes peuvent être évités. Le tout est de garder la tête froide et rester concentré en toutes circonstances.
Vous pouvez le faire, croyez en vous!
A bientôt
Elise