Situation d’urgence: mon premier décès
Je n’oublierai jamais la première fois ou j’ai vu un patient mourir sous mes yeux, malgré tous les soins prodigués en situation d’urgence.
Aucun soignant n’oublie jamais cette première fois je pense.
Et ce n’est pas plus mal. S’en souvenir permet de rester vigilant, sur ses gardes au cas où la même situation se reproduit ou risque de se reproduire. Et ce jour arrive forcément, malheureusement puisque des patients qui meurent en hôpital, c’est assez fréquent! Pourtant je ne l’ai pas vécu durant mes études. Je ne les voyais qu’après le décès déclaré.
Donc voilà ce qu’il s’est passé.
J’étais infirmière depuis 4 mois environ. J’avais exercé le 1er mois en service de court séjour gériatrique en attendant d’être embauchée dans le service qui me plaisait vraiment: La chirurgie.
J’étais folle de joie quand j’ai reçu l’appel de l’hôpital où je voulais exercer, dans le service que je souhaitais!
J’ai commencé par travailler principalement les matins pendant 2 mois afin de pratiquer le plus de soins techniques (on était en horaires de 7h).
J’ai eu la chance d’être formée pendant près de 2 semaines (avec quelques jours seule de temps en temps). Les collègues étaient très sympas et le cadre, le genre de cadre que tout le monde voudrait! Compréhensif, pédagogue, observateur, qui redonne confiance aux membres de son équipe même quand tout va mal! C’est grâce à lui que je suis restée 1 an et demi das ce service malgré les conditions de travail déplorables (1 IDE pour 17 patients, parfois 2 IDE les bons jours mais une seule la nuit, 2AS qui font le brancardage aidée par les IDE quand elles peuvent et pas d’ASH pour nettoyer les chambres!).
Bref, j’étais en horaire de nuit depuis environ 3 semaines. J’aimais bien ce calme dans les couloirs, le téléphone qui sonne beaucoup moins, pas de médecins/chirurgiens pour nous donner des “consignes” toutes les minutes, parfois contradictoires entre chirurgiens et anesthésistes…
Je commence le tour à 21h avec mon binôme aide soignante, tout le monde va bien, en apparence.
Première erreur: m’être fiée aux apparences.
Le reste de la nuit se passe sans soucis jusqu’à minuit, deuxième tour de distribution de médicaments divers, surtout antalgiques, surveillances post opératoires de quelques patients, de leurs pansements et surtout vérification s’ils respirent! L’aide soignante avec qui j’étais, qui exerçait depuis 16 ans, m’a expliqué qu’il était important de vérifier que chaque patient respire à chaque tour de nuit. Au début je trouvais ça un peu…exagéré mais finalement elle avait raison!
Au 3ème tour, à 5h du matin, j’étais toujours dans la chambre du premier patient quand je l’entend m’appeler dans la 2ème chambre: “Viens viiiiite!!!”.
Arrivée dans la chambre, vision d’horreur: le patient est en travers du lit, deperfusé, secoué de spasmes et pousse des râles très inquiétants.
Premier réflexe, je lui prends ses constantes, mets l’oxygène au masque au maximum (15L/min) car il avait 80% de saturation, j’appelle l’anesthésiste de garde (protocole du service), demande à l’aide soignante d’aller chercher le chariot d’urgence et j’appelle les collègues des services d’à côté (chose habituelle car il s’agit de 2 autres services de chirurgie et les équipes tournaient entre les 3 et prenaient leur pause ensemble la nuit).
L’anesthésiste arrive au bout de 3 minutes (chrono en main). Élément important car au téléphone je lui avait dit que le patient était toujours vivant, mais à son arrivée il ne respirait plus. Nous avons dû commencer la réanimation immédiatement car une personne dispose de 3 minutes privée d’oxygène avant de risquer de souffrir de séquelles cérébrales. Nous avions donc environ 2 minutes pour le réanimer sans risques.
Info importante: il avait été opéré d’une dilatation endo-carotidienne (suite à une plaque d’atherome= graisse bloquant l’arrivée de sang au cerveau) trois jours avant. Il avait également un Redon (petit flacon qui recueille les sécrétions comme le sang pour repérer les hémorragies internes et éviter les hématomes) qui était quasiment vide.
À ce moment là nous étions 1 anesthésiste, 3 infirmiers et 3 aide soignantes. Mon binôme qui n’avait jamais eu besoin de faire un massage cardiaque en 16ans à dû s’y mettre pendant que je suivais les consignes de l’anesthésiste et que mes collègues essayaient de reperfuser le patient laborieusement après mon 1er échec. Je lui ai donc injecté de l’adrénaline après réussite de la pose de cathéter pendant que l’anesthésiste essayait de l’intuber. Problème: elle n’y arrivait pas! Voyant que le temps pressait, et qu’elle commençait à paniquer, elle appela donc une collègue médecin anesthésiste puis un infirmier anesthésiste du bloc pour lui apporter du matériel pour intubation difficile (trouvable qu’au bloc) et l’aider à insérer la sonde endo-trachéale.
Mais personne n’y arrivait malgré tout le matériel et le personnel mis en place…
Malheureusement, tous nos efforts furent vain et le médecin dû déclarer le décès du patient de 94 ans une heure après.
J’étais bouleversée. Et surtout, persuadée que c’était ma faute. Je n’arrêtais pas de me dire que si j’étais arrivée avant, peut être que…
Tellement bouleversée que je me suis assise sur une chaise dans la salle de soin et j’ai fondu en larmes. C’est l’anesthésiste en personne qui m’a réconfortée en affirmant que je n’aurais jamais pu deviner et qu’on ne peut pas rester dans la chambre de chaque patient toute la nuit juste au cas où, c’est physiquement impossible!
Ce qu’il s’est réellement passé:
– Le patient avait subi une chirurgie du palais quelques années auparavant.
– De plus, il souffrait d’un hématome de la trachée suite à une hémorragie interne (le Redon était probablement mal placé ou bouché).
Ces deux événements ont rendu son intubation impossible.
Les erreurs à éviter:
Avec le recul je réalise qu’elles ont été causées par mon manque d’expérience de l’époque et sont facilement évitables.
Raison de plus pour les partager avec vous, afin que vous appreniez de mes anciennes erreurs!
– Croire que parce que le premier tour du soir ou de la journée se passe bien, la journée/nuit entière se passera tout aussi bien. Vous pouvez avoir un début de poste très tranquille 😇 et une fin apocalyptique!💣
– Ne pas prendre les constantes de tous les patients au premier tour de nuit parce qu’ils dorment💤 ou ont été opéré il y a plus de 2 jours. L’anesthésiste m’a expliqué que ce genre de complications arrive souvent aux alentour de J3, justement quand on croit que le patient ne risque plus rien.
– Se persuader que si un patient décède durant votre poste, c’est forcément de votre faute…Vous ne pouvez pas empêcher quelqu’un de mourir si c’est son heure☠️! Et encore moins s’il a plus de 90 ans 🤷🏽♀️.
Et vous avez vous vécu ce genre de situation? N’hésitez pas à partager votre expérience en commentaire.👍
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Je trouve émouvant de vous lire, et surtout de constater qu’il est encore des infirmières “humaines”… 🙂
Merci, ca me touche beaucoup! 😊